Je suis depuis longtemps avec intérêt les différentes parutions illustrées des éditions Albin Michel jeunesse, d’abord grâce à la collection Trapèze dirigée par Béatrice Vincent qui a depuis fondé les éditions La Partie puis en élargissant au reste du catalogue développant un réel équilibre entre des auteurs et autrices installé.es et suivi.es et des découvertes graphiques en publiant régulièrement de plus jeunes auteur.ices sorti.es d’écoles d’art.

Voilà donc que je découvre avec cet album, La Nuit où mes vêtements se sont échappés, l’intéressant travail de Charlotte de Sédouy dont il s’agit du premier livre publié. Autrice, illustratrice et artiste plasticienne explorant différents supports, elle est diplômée de l’Institut Supérieur des Arts et du Design de Toulouse et travaille à Marseille.

Dans cet album, un enfant, narrateur de l’histoire, nous raconte qu’à son réveil, les vêtements qui avaient soigneusement été préparés et déposés sur une chaise près de son lit ont mystérieusement disparus. Voilà qu’il se lance alors dans une explication rocambolesque de ce qu’il suppose s’être passé, soit la fuite de son pull et de son pantalon partis discrètement en pleine nuit pour découvrir les environs et vivre plein d’aventures nocturnes dans la forêt bordant la ville.

Si son explication part du postulat absurde de l’animation et l’anthropomorphisation de ses vêtements alors qu’ils ne sont pas portés, tout se suit après dans une cascade de conséquences en chaîne aussi logique qu’amusante. L’on navigue entre réalité, rêve ou monde fantastique sans plus d’explications qu’une imagination enfantine débordante poussant à l’exagération. Le texte commence comme si l’enfant cherchait une excuse à l’absence de ses vêtements, voire à leur état, sales et déchirés, quand ils pourront être retrouvés. Plus qu’un alibi, toute cette histoire peut aussi être vue comme un prétexte justifiant par la nécessité de l’absence de ses vêtements son envie de mettre, pour aller à l’école, un déguisement de bête sauvage à couronne rappelant celui du petit Max de Max et les Maximonstres de Maurice Sendak.

L’autrice développe dans cet album la fascination fréquente chez les enfants du monde nocturne et de ce qui peut bien se passer quand on dort. Si l’on comprend assez vite la vie de certains animaux nocturnes, l’imagination de ce versant inconnu de notre monde proche peut donner lieu à tant d’espoirs que de suppositions plus ou moins fantaisistes, voire fantastiques. Ici, des vêtements, inanimés en eux-mêmes mais pouvant avoir forme humaine par leur fonction, deviennent personnages de cette vie nocturne, s’affranchissant de l’enfant qu’ils habillent et protègent habituellement. Ils apparaissent dès la couverture énigmatique où ils ressortent, blancs devant un paysage sombre, seulement éclairé par la pleine lune tout aussi immaculée mais dotée d’un visage comme la tête manquante au-dessus de ce pull et de ce pantalon en plein mouvement. L’on pense alors, par cette composition et ce jeu de lumière et de couleurs, autant à des fantômes d’un nouveau genre qu’au Jean de la Lune de Tomi Ungerer.

Par le truchement de la fantaisie enfantine imputée au narrateur de l’histoire, l’on suit l’épopée de ses propres vêtements, aventure nocturne qu’il nous raconte en se préparant consciencieusement pour aller à l’école. L’on suit les habits se nouant entre eux pour descendre de la fenêtre, marchant sur la pointe des pieds pour faire le mur en toute discrétion, détalant dans la rue, passant dans le trou d’un muret puis, arrivés dans la forêt, rencontrant animaux et autres vêtements, comme dans un monde merveilleux inaccessible aux humains. De tout blancs, les vêtements prennent des couleurs et des accrocs, témoins de leur folle nuit avec de la terre, de l’eau, des toiles d’araignées et même un chien qui se plaira à les porter. Le monde imaginaire du bord de la forêt ressemble alors à un jeu d’enfants où l’on dirait que tout est possible, qu’une maison n’a pas à avoir de murs, qu’une souche devient un fauteuil et que l’on prend le thé en le mimant de façon très distinguée.

L’enfant narrateur prend bien soin de raconter qu’il n’aurait jamais fait ce qu’il impute à ses habits, il aurait eu peur, serait bien sûr rentré. Qu’il les admire ou leur prête ses actions pour se défausser, il tente par là de rassurer les adultes sur sa prudence. Cela ne l’empêche pas de s’inspirer de cette liberté qu’il leur prête et qu’il nous raconte pour s’accorder le droit de la singularité joyeuse en se déguisant pour que sa journée soit aussi incroyable que leur nuit.

Les illustrations de Charlotte de Sédouy exposent avec finesse ce mélange de réalité et d’imaginaire où, sur fond de paysages à la peinture dans des teintes nocturnes de bleu, violet et rose foncés, les vêtements et la lune se détachent en blanc, jouant sur la lumière et les ombres. S’y ajoutent des détails faits de traits déliés au crayons de couleurs sans fond, laissant envisager par transparence leur aspect imaginaire. Les couleurs évoluent subtilement au fil du récit vers une gamme plus claire et rosée annonçant la fin de la nuit et de la folle équipée.

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